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L’Espagne et les fuites de carbone

Dans le cadre du Pacte vert : « Notre ambition : être le premier continent neutre pour le climat », Ursula von der Leyen a présenté la loi climat européenne le 4 mars dernier. La possible mise en place d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières est évoquée. Le secteur électrique espagnol est concerné, car il est victime de fuites de carbone vers le Maroc.

La publication de cet article intervient dans un contexte très incertain. Il est très difficile de prévoir ce que deviendra la loi climat européenne quand la pandémie aura disparu. On ne pourra pas revenir au business as usualPoner el cuidado de la vida en el centro.

L’Espagne et les fuites de carbone :


Depuis près de deux ans déjà, les échanges sont fréquents entre le gouvernement espagnol et l’Union européenne à propos de la taxation de l’électricité marocaine. Depuis la mise en service de la centrale à charbon de Safi fin 2018, le Maroc exporte en Espagne une électricité bon marché et qui n’est pas soumise aux quotas d’émissions en vigueur dans l’UE. 

Le rapport publié en janvier 2020 The path of least resistance – le principe du moindre effort – du laboratoire d’idées Ember (anciennement Sandbag), qui analyse les fuites de carbone en Europe dans le secteur électrique, évoque la situation espagnole. Voici un extrait du document (le document original est en anglais) : 

« La seule interconnexion existante entre l’Europe et l’Afrique du Nord se fait par des câbles sous-marins au Maroc. Jusqu’à la fin 2018, ces câbles transportaient de la puissance essentiellement de l’Espagne vers le Maroc, mais la tendance s’est aujourd’hui inversée. […] Entre 2018 et 2019, l’Espagne a réduit de 25 TWh la production nationale d’électricité issue du charbon, tout en augmentant les importations nettes en provenance du Maroc de 4 TWh. Il s’agit d’un signe clair de fuite de carbone. L’électricité importée présentait en moyenne une intensité de carbone deux fois plus forte que celle produite sur la péninsule. Le Maroc, de son côté, n’a pas annoncé la création à court terme d’une tarification carbone. La vitesse de décarbonation, plus faible au Maroc qu’en Espagne et au Portugal, signifie que l’écart d’intensité en carbone devrait augmenter au cours des années 2020, et les interconnexions, elles, continueront d’importer de l’énergie issue du charbon. En parallèle, l’extension envisagée de l’interconnexion sous-marine entrainerait une confrontation du modèle énergétique de la péninsule ibérique avec le charbon marocain, qui pourrait se traduire par une compensation des émissions de gaz à effets de serre économisées grâce à la décarbonation de l’énergie locale et retarder l’abandon des centrales à charbon. Un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières permettrait de protéger la péninsule contre ces fuites, et pourrait favoriser le déploiement de solutions propres dans les trois pays. » 

Ce rapport préconisait en janvier 2020 la mise en place d’un ajustement carbone pour le secteur électrique. Cet ajustement fait maintenant partie des mesures proposées dans le cadre du règlement pour parvenir à la neutralité climatique (loi climat européenne), présentées le 4 mars dernier par la présidente de la Commission européenne. L’UE explique la mesure en ces termes : 

« L’Union européenne montre la voie à suivre pour la mise en œuvre de l’accord de Paris. Si des différences dans les ambitions de par le monde devaient engendrer un risque important de fuite de carbone, la Commission proposera un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. Elle utilisera aussi ses instruments existants pour guider et accélérer la transition de l’industrie vers des processus de production plus propres tout en veillant à ne pas faire double emploi avec les mécanismes de lutte contre les fuites de carbone. » 

Il convient donc de suivre la mise en place de cet ajustement, sous quelles formes et sous quels délais, et voir comment répondra le marché électrique espagnol.

Mais que sont les quotas d’émissions en vigueur dans l’Union européenne ? Quels sont leurs impacts sur le secteur électrique, et notamment la production d’électricité issue du charbon en Espagne ? Quels sont leurs impacts sur les émissions de CO2 ?


Pour lutter contre le changement climatique, l’Union européenne a mis en œuvre un mécanisme de droits d’émissions de dioxyde de carbone dans le cadre de la ratification du protocole de Kyoto.

Mis en place en 2005, le système européen d’échange des quotas d’émissions couvre près de 45 % des émissions de gaz à effet de serre de l’UE. Les États membres imposent un plafond puis allouent des quotas correspondants à ce plafond à chaque secteur (production d’énergie, industrie, aviation). Les entreprises assujetties au système ont la possibilité d’échanger des quotas sur le marché du carbone :
  • une installation qui émet plus que son allocation doit se procurer les quotas manquants, c’est le principe pollueur-payeur ; 
  • une installation qui émet moins que son allocation peut revendre ses quotas non utilisés et bénéficier ainsi de revenus, qui sont mobilisables par exemple pour financer des investissements lui permettant de maîtriser ses émissions. 
La quasi-totalité des quotas était allouée gratuitement jusqu’en 2012. Depuis 2013, plus de la moitié des quotas sont vendus aux enchères, avec l’objectif de faire croître ce niveau progressivement. La production d’électricité n’étant soumise par principe – mais on voit que ce n’est pas le cas pour l’Espagne – à aucune concurrence venant de pays tiers, les producteurs d’électricité ne reçoivent pas d’allocation gratuite de quotas et peuvent passer le coût des quotas dans leurs prix pour le consommateur. Ce principe permet de rendre relativement plus rentables les capacités de production d’électricité les moins carbonées.

Les centrales à charbon intègrent donc depuis 2013 le prix du CO2 dans le prix de vente de l’énergie. Cependant, entre 2008 et 2018, on n’observe pas de tendance à la baisse significative des quantités de CO2 émises. Le laboratoire d’idées Sandbag met à disposition de tous une interface pour analyser les données vérifiées d’émissions de l’UE : vous y trouverez un graphique qui illustre l’évolution des émissions des installations de production d’énergie basée sur la combustion entre 2008 et 2018. Une claire tendance à la baisse n’est observée qu’en Allemagne. 

L’UE n’a pas encore publié de données officielles concernant les émissions en 2019. Cependant, selon la presse espagnole, les émissions de CO2 du secteur ont diminué de 69 % en 2019, et les centrales à charbon ne couvrent plus que 5 % de la production totale. En effet, la hausse des prix des quotas carbone en 2019 amène les producteurs espagnols (et européens en général) à fermer les centrales à charbon. 

L’Espagne n’affiche pas de date de mise à l’arrêt de ses centrales, préférant laisser opérer le marché. En France, la fermeture des 4 dernières centrales à charbon devrait avoir lieu d’ici 2022.

Et voici quelques repères chiffrés :


Selon l’IDAE – Institut espagnol pour la diversification et l’économie d’énergie –, le facteur d’émission d’une centrale à charbon importé est de 0,94 tonne de CO2 par mégawattheure produit aux bornes de la centrale. À titre d’exemple, le 26 mars dernier, le prix affiché de la tonne de carbone était de 17,4 € (sur la bourse européenne), et le prix moyen du mégawattheure – toutes technologies confondues – de 22,82 € (sur le marché espagnol).

D’après les données Sandbag, les installations de production d’énergie basée sur la combustion ont émis, en 2018, 26 millions de tonnes de CO2 en France, 64 en Espagne, et à titre de comparaison 292 en Allemagne.

Et quelques repères de vocabulaire : 


  • mécanisme d’ajustement carbone aux frontières / ajuste de carbono en frontera / border carbon adjustment;
  • Pacte vert européen  / acuerdo Verde Europeo  / european green deal;
  • système d’échange de quotas d’émissions de l’UE / régimen de comercio de derechos de emisión de la UE / EU Emissions Trading System.

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